Octavie Modert au sujet du statut de l'artiste professionnel indépendant, de la culture comme argument pour améliorer l'image du Luxembourg, du mécénat privé et du management culturel

France Clarinval: C'est au ministère de la Culture qu'il appartient d'attribuer le statut de l'artiste professionnel indépendant. Leur nombre est croissant. La loi est-elle à la mesure des demandes?

Octavie Modert: La promotion et la stimulation de la vie artistique passent en effet par cette aide que l'on apporte aux artistes indépendants. Il faut bien préciser qu'il y a deux types de statuts. D'une part, l'artiste professionnel indépendant, qui ne vit que de son travail artistique et pourra, le cas échéant, bénéficier d'aides versées par le Fonds social culturel. D'autre part, il y a l'intermittent du spectacle qui travaille, comme son nom l'indique, ponctuellement pour une entreprise dans ce domaine. La loi prévoit aussi des bourses d'aide à la création. Ces mécanismes fonctionnent bien. Le nombre d'artistes a augmenté d'un tiers en deux ans, une croissance nouvelle. Par exemple, en 2010, 31 artistes et 100 intermittents ont pu obtenir une aide sociale ou des indemnités d'inoccupation involontaire pour un montant proche du million d'euros. Bien sûr, avoir le statut ne veut pas forcément dire activer les mécanismes d'aide. Mais c'est important pour l'affiliation à la sécurité sociale.

France Clarinval: Tous les domaines sont-ils représentés?

Octavie Modert: Pour entrer un peu dans le détail, on peut voir que le statut de l'artiste est bien adapté pour ceux qui travaillent dans les arts plastiques, qui sont d'ailleurs les plus nombreux. Les arts de la scène connaissent une croissance, surtout dans le domaine de la danse qui est très actif et de très bon niveau. Par contre, les musiciens sont étonnamment sous-représentés par rapport à leur nombre dans le pays. Je suis d'ailleurs en train de mener des concertations avec les professionnels du secteur pour voir comment mieux concilier le statut de l'artiste avec le métier de musicien.

France Clarinval: Les conditions d'accès sont-elles trop strictes?

Octavie Modert: Il est indispensable qu'il y ait des conditions. Il faut exercer pendant un an pour ceux qui sont diplômés, trois ans pour ceux qui ne le sont pas avant de pouvoir prétendre au titre et le statut est valable deux ans, reconductibles bien sûr. Un an avant de se voir ouvrir les droits à ce filet de sécurité, cela ne me semble pas exagéré, tout en sachant que s'établir dans une profession, surtout dans le domaine de l'art peut être difficile. Nous sommes en train de voir si nous trouvons une voie médiane pour accélérer et faciliter l'accès des jeunes artistes professionnels. Mais une période de stage restera obligatoire, peut-être plus courte, ou qui puisse être entrecoupée. Pour les musiciens, je me demande si le système des intermittents ne convient pas mieux. Mais cela suppose d'avoir un employeur, ce qui n'est généralement pas le cas. Il faut donc réfléchir à des adaptations.

France Clarinval: Les artistes luxembourgeois se plaignent souvent de leur manque de visibilité à l'étranger. Quels sont les efforts réalisés en ce sens?

Octavie Modert: Le monde est grand et le Luxembourg est petit. Il faut donc en effet avoir des possibilités de se produire ailleurs, donc à l'étranger. Dans d'autres pays, on peut commencer localement, puis se faire connaître au niveau régional, puis national. Chez nous, le local et le national se confondent, l'étape internationale arrive tout de suite après. C'est donc plus difficile et il est indispensable d'aider les artistes pour cela. Plusieurs initiatives sont menées. Il y a une collaboration accrue avec les Maisons grand-ducales à l'étranger qui dépendent des ambassades. C'est le cas en Allemagne et en Belgique où ces lieux accueillent des expositions ou des concerts d'artistes luxembourgeois. Puisqu'il n'y a pas de Maison en France mais que Paris est incontournable et facile d'accès, une mission culturelle a été créée depuis 2009, avec de réels succès et une visibilité croissante. Ce sont donc des structures qui font venir des artistes à eux. D'un autre côté, avec la structure Music :LX, on part du Luxembourg pour exporter des artistes. L'asbl est toute jeune, mais ne démarre pas de rien. Patrice Hourbette, son directeur, avait déjà de nombreux contacts et un réseau important. Le nombre de concerts à l'international a explosé pour passer de 40 en 2009, à la création du bureau export, à 400 en 2011. Enfin, n'oublions pas que le ministère de la Culture soutient aussi les artistes qui partent se produire lors de festivals de théâtre, de danse, de musique, de rencontres littéraires, de résidences, d'expositions, de foires internationales d'art ou du livre... Toujours en analysant ce qui fait du sens et qui peut apporter quelque chose à la carrière de l'artiste et à l'image du Luxembourg.

France Clarinval: Est-ce nouveau de considérer la culture comme un argument pour améliorer l'image du Luxembourg?

Octavie Modert: Pour attirer les multinationales à investir ou s'implanter ici, l'offre culturelle que nous présentons est intéressante et représente un atout. Je suis en discussion avec le ministère de l'Économie pour que chaque fois qu'il y a une mission économique, un volet culturel soit mis sur pied. C'est essentiel pour nos artistes mais encore une fois aussi pour l'image du pays. Ces missions font la promotion de l'ensemble du pays et ne peuvent donc pas se passer de la culture.

France Clarinval: Qu'avez-vous déjà fait en ce sens?

Octavie Modert: On n'en est qu'aux débuts, mais il est indéniable que cette proximité entre la culture et l'économie fait du sens. Le Pavillon à l'exposition de Shanghai n'aurait pas eu le succès qu'il a eu sans le contenu culturel... Par ailleurs, le plus simple et le plus classique est qu'une personne du ministère de la Culture accompagne la mission pour présenter le secteur aux personnes rencontrées. On peut aussi envisager qu'un artiste suive ou qu'une exposition soit organisée parallèlement à la mission.

France Clarinval: Vous avez, lors d'une conférence de presse au Mudam, suggéré au secteur de la culture de faire appel au mécénat privé. Est-ce une manière de désengager l'État?

Octavie Modert: Non, non et encore non! Je n'ai absolument pas dit qu'il fallait de l'argent privé pour que l'État puisse se désengager. Je suis totalement convaincue, et le gouvernement l'est avec moi, de l'importance de la création contemporaine. Le financement public est quelque chose d'acquis et le restera. Mon propos était plutôt de regretter que le secteur privé ne reconnaisse pas suffisamment la capacité d'innovation et de création du domaine culturel. C'était un appel à la diversification des sources de financement et une manière de dire au privé "ne fermez pas les yeux sur la créativité, cela vaut la peine de vous y associer". La culture ne doit exister en vase clos.

France Clarinval: Quels sont alors les mécanismes d'incitation au mécénat?

Octavie Modert: Le mécénat d'entreprise peut bénéficier de déductions fiscales en passant par le Fonds culturel national. C'est un mécanisme classique qui existe dans beaucoup de pays. Du côté des particuliers, la culture du mécénat fait défaut parce que notre histoire en la matière est trop récente. Il y a eu longtemps peu de patrimoine dans les mains privées, et aujourd'hui encore, en comparaison avec beaucoup d'autres pays, il reste limité. Certaines initiatives privées, comme Les Amis des Musées, sont louables et méritent d'être saluées.

France Clarinval: La fusion entre la Philharmonie et l'OPL a été un de vos dossiers importants les mois passés. Quelles leçons en tirer?

Octavie Modert: La question du management culturel est très importante. Nous sommes d'ailleurs plus sollicités sur le "comment faire" que sur le "quoi faire". Pour ce qui est de cette fusion, c'est d'abord parce qu'elle faisait sens qu'elle a été menée sans accros: le même bâtiment, le même secteur d'activité. Les synergies semblent évidentes. Tout le monde a collaboré à ce dossier de manière positive pour trouver des solutions. Par rapport à la valeur d'exemple, c'est une façon de montrer et de comprendre qu'il n'est pas souhaitable de multiplier les structures. Par exemple, le Musée de la forteresse est un lieu géographique différent mais fait partie du Musée National d'Histoire et d'Art. Le site gallo-romain de Dalheim pourrait aussi fonctionner en tant que section du musée. Par contre, à l'heure actuelle en tout cas, je n'imagine pas une fusion entre le Mudam et le Casino, ne fut-ce que pour des questions juridiques, l'un étant un établissement public, l'autre une asbl relevant du droit privé. Il n'existe pour l'instant pas de structure juridique intermédiaire entre les deux.

France Clarinval: Un domaine où la structuration semble faire défaut, c'est la multiplication des centres culturels régionaux et locaux...

Octavie Modert: Ces centres culturels sont très diversifiés en taille, en type de programme et en structure. À ma suggestion, ils se sont fédérés en réseau et réfléchissent ensemble à des stratégies de communication ou de programmation. Mais, la plupart sont issus d'initiatives communales, pour donner un lieu à un festival, à une harmonie, une troupe ou occuper un bâtiment... L'ambition et la volonté font le reste pour que ces lieux se développent, parfois avec une excellente programmation. Mais trop souvent, les coûts de fonctionnement n'ont pas été évalués à la création et, une fois le bâtiment achevé, certaines communes ne savent pas comment le gérer. C'est dommage qu'il n'y ait pas plus de concertation de manière intercommunale comme cela se fait pour une piscine ou un centre de déchets ..... J'applaudis les initiatives de décentralisation de la culture, même si je regrette qu'on n'ait pas mieux accompagné la création et la programmation. Mais je ne souhaite pas voir de nouveaux centres culturels professionnels. Je soutiens cependant que chaque village doit avoir un lieu pour se réunir, pour assurer la cohésion sociale. Pas besoin pour autant qu'il y ait du marbre ou une infrastructure technique révolutionnaire.

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