"Un changement de paradigme". Octavie Modert au sujet des enjeux et des acquis de la Rockhal qui fête son cinquième anniversaire

Luxemburger Wort : Madame Modert, fallait-il, vraiment, une Rockhal au Luxembourg?

Octavie Modert: Pourquoi le Luxembourg ne devrait-il pas disposer dans le domaine de la musique dite "jeune" d'une infrastructure à plus grande capacité à l'instar d'autres disciplines et secteurs? Mais là n'est et ne doit pas résider le seul atout de la Rockhal - sa loi organique du 26 mai 2004 lui assignait deux grandes missions: mises à part la gestion et l'exploitation d'un immeuble permettant d'organiser des concerts de musique amplifiée, je voudrais souligner la mission de promotion de la création artistique par la mise à disposition d'espaces et de dispositifs d'accompagnement à des musiciens professionnels et amateurs.
Si cet établissement a donc été mis en place par l'Etat, c'est parce qu'il n'existait pas de structures adaptées au Luxembourg qui auraient permis d'une part aux jeunes groupes de musiciens de s'exercer et de se produire dans un environnement professionnel et d'autre part au public d'assister à des concerts d'artistes et de groupes nationaux et internationaux.

Luxemburger Wort : Vous avez qualifié l'aventure Rockhal de "Success Story". De quels points de vue précisément?

Octavie Modert: La Rockhal a su attirer quelque 500.000 spectateurs depuis 2005 sur un site qui pendant longtemps a été une friche industrielle difficilement accessible. Les plus grands noms dans le domaine du pop-rock au niveau mondial se sont produits à la Rockhal. Son centre de ressources a réussi, avec ses 180 workshops et ses 6 salles de répétition, à former, informer, orienter, accompagner et promouvoir les jeunes musiciens de la scène rock et pop du Luxembourg et de la Grande Région. Ces résultats et chiffres me permettent de parler d'un succès.

Luxemburger Wort : 500.000 personnes en effet se sont rendues à la Rockhal, ce qui correspond à la population du pays. Mais on ne peut pas affirmer que tous les Luxembourgeois ont fréquenté la Rockhal. Pensez-vous que l'établissement peut/doit encore attirer des publics nouveaux?

Octavie Modert: Tous les Luxembourgeois n'ont pas non plus été à la Philharmonie, à la Coque ou dans un stade de foot. Toutes les infrastructures étatiques, dont aussi les établissements culturels qui se trouvent sous la tutelle du ministère de la Culture, ont chacune leur mission propre et intéressent donc aussi un public plus ou moins défini. C'est le cas aussi pour la Rockhal. Cela ne veut pas dire que celle-ci ne mette pas parfois ses salles à disposition d'organisateurs externes qui proposent des productions visant un public différent. Bien qu'il ne s'agisse pas nécessairement de productions rock/pop, elle permettent néanmoins d'attirer un nouveau public.
Dans ce contexte, je voudrais évoquer aussi le "Kulturpass", qui permet l'accès à la culture à toute personne qui vit une situation sociale ou économique difficile. De nombreuses institutions culturelles participent à ce projet sur invitation du ministère de la Culture, parmi eux aussi la Rockhal.

Luxemburger Wort : Que diriez-vous cependant au contribuable qui fustigerait le coût d'une institution dont il affirme ne pas faire usage?

Octavie Modert: La Rockhal dispose d'une dotation de l'Etat qui est très raisonnable et dont la majorité est utilisée pour couvrir les frais de fonctionnement et de personnel de l'établissement ainsi que de son centre de Ressources. En ce qui concerne les productions de concerts, cette activité parvient à s'autofinancer en grande partie. Or, comme vous le savez, le ministère de la Culture essaie de satisfaire une grande partie des demandes culturelles du public tout en gérant les deniers publics "en bon père/en bonne mère de famille". Il est vrai que la culture est financée par tous les contribuables au Luxembourg, à l'instar d'autres secteurs et d'autres prestations et services rendus à la population. Et il est tout aussi peu probable malheureusement que chaque contribuable puisse, respectivement veuille participer à tous les événements culturels (ou autres) organisés au Luxembourg. Or, l'Etat veut et doit mettre à disposition des infrastructures dans beaucoup de domaines, que ce soit la santé, l'éducation, la mobilité, le sport ou la culture.

Luxemburger Wort : La Rockhal a-t-elle acquis une notoriété suffisante hors de nos frontières? Doit-elle fournir des efforts encore en matière de mise en réseau avec les autres salles de la Grande Région?

Octavie Modert: La Rockhal a réussi à attirer au Luxembourg les plus grands groupes et artistes au monde qui généralement ont l'habitude de jouer devant un public dépassant largement les 6.000 spectateurs. Ce sont le professionnalisme et la disponibilité du personnel de la Rockhal, les conditions de répétition offertes ainsi que les locaux qui les attirent au Luxembourg. Et c'est finalement une programmation équilibrée réalisée aussi bien par la Rockhal que par tous les autres organisateurs externes de concerts, qui permet de garantir une notoriété qui est appréciée aujourd'hui bien au-delà de la Grande Région. Nous avons misé sur la qualité de l'artiste produit à la Rockhal, ce qui nous a conféré une notoriété immense, auprès des artistes comme du public.
Quant aux mises en réseau avec d'autres salles de la Grande Région, elles sont déjà réalité: notamment au niveau du Centre de Ressources où à travers des initiatives telles que le réseau "Multipistes" auxquels participent notamment "l'Autre Canal" de Nancy et le "CA Balance" de Liège, qui font la promotion de groupes à travers la Grande Région. Via la Rockhal, le Luxembourg et la Lorraine forment une antenne commune pour le Printemps de Bourges et déterminent un représentant commun pour se présenter au volet "découvertes" dudit festival.

Luxemburger Wort : Vous soulignez l'action de formation mise en oeuvre par le centre de Ressources. Cette action suffit-elle à ériger la Rockhal en véritable catalyseur de la création nationale?

Octavie Modert: La Rockhal a permis d'améliorer de par son travail et ses manifestations la visibilité et l'image du grand public pour la scène du rock et du pop au Luxembourg. Ce changement de paradigme n'aurait pas été possible sans le travail acharné des groupes et des artistes qui travaillent et se produisent tout au long de l'année à la Rockhal. En effet, si d'une part elle joue un rôle très actif dans le domaine de la professionnalisation des groupes et de leur accompagnement, aussi bien au niveau national qu'international, elle est tout aussi sensible aux toutes nouvelles formations émergentes et s'associe à d'autres organisations pour des actions visant à donner une visibilité à ces nombreux groupes qui naissent quasiment au jour le jour.
Nous pouvons constater depuis quelques années une effervescence de très jeunes artistes qui cherchent à créer un style très personnel. Ceci est sans aucun doute aussi dû à la dynamique déployée par la Rockhal. Je cite dans ce contexte le festival Sonic Vision qui permet à nos meilleures formations de se mesures à des artistes venant d'autres pays. En outre, un programme de conférences et de workshops avec les plus grands spécialistes du domaine du rock/pop met le Luxembourg au diapason avec des structures internationales.

Luxemburger Wort : On a reproché à la Rockhal une programmation trop éclectique, ou l'absence d'un "fil rouge". Qu'en pensez-vous?

Octavie Modert: La vocation première de la Rockhal est bien une programmation dans le domaine du rock/pop. Cette priorité n'est toutefois pas exclusive. Je renvoie d'ailleurs à votre troisième question... L'établissement est ouvert à tout le monde et les bons rapports entre la Rockhal et les organisateurs externes de concerts permettent de garantir une programmation plus ou moins équilibrée.

Luxemburger Wort : Certains promoteurs privés se plaignent toutefois de la concurrence exercée par la Rockhal grâce aux deniers publics...

Octavie Modert: L'argent public sert à financer le fonctionnement et les missions culturelles et de soutien à la scène locale exercés par la Rockhal et aussi par le Centre de ressources, et non pas une hypothétique concurrence avec des organisateurs privés afin de décrocher l'un ou l'autre groupe. D'ailleurs, l'expérience prouve que, contrairement à ce qu'ils redoutaient au début, les organisateurs privés et la Rockhal collaborent étroitement. Une plus grande offre en concerts de qualité semble en outre stimuler la demande de la part du public. Sans la Rockhal, de nombreux organisateurs ne pourraient pas disposer d'une salle aux capacités et dimensions et à l'équipement telle la Rockhal, ce qui les priverait de pouvoir engager un certain nombre d'artistes ou de groupes faute de locaux ou infrastructures adaptées. La Rockhal est également à leur service.

Luxemburger Wort : Vos préférences personnelles dans le domaine pop-rock?

Octavie Modert: Etant de nature curieuse, je suis ouverte à toutes sortes de styles. Mais j'aime m'attarder sur le hard rock. Je regrette de ne pas avoir eu le temps d'assister au concert des "Toten Hosen"!

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