Octavie Modert, Discours à l'occasion des journées du livre et du droit d'auteur 2010, Luxembourg

Mesdames et Messieurs,

Il ne faut pas avoir peur du numérique ! Au contraire, même si on peut en dire et redire beaucoup de choses, il faut saisir les nouvelles opportunités suscitées notamment pour la créativité et la diffusion de la création, de la culture et du savoir.

La révolution numérique

On entend résonner ces derniers temps de plus en plus souvent l’expression "révolution numérique".

Et c’est vrai, l’explosion de l’Internet et le développement fulgurant des technologies du numérique représentent un bouleversement comparable à certains égards à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. Ce nouveau bouleversement ne se limite pas à la production et à la diffusion du texte, mais secoue maint secteur économique, transforme les pratiques sociales et ne laisse pas indemne les modes classiques du dialogue social et de la discussion politique où l’Internet se joint aux plateformes de discussion traditionnelles.

Si la révolution numérique dépasse donc la chaîne du livre, cette dernière se trouve néanmoins en toute première ligne, au front.

Nombreux étaient ceux, non seulement dans le secteur de la Culture, qui, il n’y a pas si longtemps, sous-estimaient ces réalités et davantage encore leurs enjeux pour l’avenir. Le e-book, le livre numérique, en particulier, était trop souvent considéré comme une fantaisie sans grand avenir.

Depuis une année, la perception a manifestement changé.

D’une part, les initiatives privées respectivement commerciales de mettre rapidement en ligne une gigantesque bibliothèque numérique englobant le gros du patrimoine imprimé mondial ont mis sous pression les éditeurs et libraires, mais aussi les bibliothèques nationales, et Europeana, le grand projet de bibliothèque numérique européenne, s’en est trouvé renforcé.

D’autre part, la précipitation des nouvelles concernant l’e-book et ses nouveaux supports qui ont fait régulièrement les gros titres de la presse internationale, a réveillé définitivement maint incrédule.

Défis et opportunités de la révolution numérique pour le Luxembourg

Même si le Luxembourg est un petit pays, nous ne pouvons pas rester un observateur passif de transformations cruciales qui s’opèrent autour de nous.

  • les industries culturelles, en l’occurrence les branches de l’édition, de l’imprimerie et de la librairie, constituent un secteur important de nos petites et moyennes entreprises (PME), notamment en termes d’emplois. Ensemble elles sont aussi l’un des principaux vecteurs de notre culture et de notre débat démocratique (cf le rôle de la presse) ;
  • petit pays, dépourvu de matières premières naturelles, la mobilisation de notre capital intellectuel est un enjeu stratégique pour l’avenir, où la maîtrise des savoirs sera la meilleure arme, que ce soit pour l’individu à titre privé ou pour notre société dans son ensemble ;
  • la force et la source du bien-être du Luxembourg ont toujours résidé dans sa capacité d’innovation, depuis la fin du 19e siècle tout comme tout au long du 20e siècle et de ce début du 21e siècle.

Aujourd’hui nous sommes tous ensemble confrontés à une nouvelle donne.

Si nous voulons mobiliser la jeunesse, la génération Internet, si nous voulons rester visible à l’échelle internationale, promouvoir notre patrimoine et donner l’image d’un pays moderne, alors il faut être présent et performant sur le créneau du numérique.

  • en tant que petit pays, nous avons, plus que d’autres, intérêt à veiller au maintien d’un juste équilibre entre la nécessaire protection de la propriété intellectuelle et la nécessité de garantir un accès démocratique aux savoirs ;
  • en tant que petit pays nous avons aussi intérêt à veiller à ce qu’il n’y ait pas une fragmentation du marché européen de l’accès aux savoirs, qui serait contraire aux principes de libre circulation des biens, services et capital humain qui constituent les principes de base de l’Union européenne. Même si nous ne savons pas encore avec certitude quels seront les modèles économiques de demain, il faut s’atteler à la tâche dès aujourd’hui en ayant l’esprit ouvert et la flexibilité nécessaire.

Il faudra assurément être inventif et coopérer davantage, au sein du secteur public d’une part et entre secteur public et privé (public-private partmership) d’autre part.

Les principaux acteurs l’ont compris et agi

  • je me félicite que les premiers éditeurs, dont le plus grand éditeur du pays, ont pu présenter récemment leur premier e-book et que les libraires sont aussi en train de s’armer pour intégrer le livre numérique dans leur offre ;
  • quant à la Bibliothèque nationale, cela fait plusieurs années déjà qu’elle a reconnu l’importance des publications numériques qu’elle a intégrées dans son offre tout en mettant en œuvre un ambitieux projet de numérisation.

L’action du Gouvernement

Si le Gouvernement a lancé un grand programme de construction de réseaux à haut débit, infrastructure de base par excellence, le Ministère de la Culture, quant à lui, n’a pas été en reste.

En effet, l’on ne saurait être complet sans le contenu : si nous voulons être et rester attractifs aux investisseurs et commerces en matière électronique, donc à l’économie numérique, il faudra compléter les infrastructures et se soucier de ce que je qualifierais de e-contenu, pour lequel les acteurs de la société de la connaissance dont notamment la culture autant que les instituts culturels, portent une large responsabilité et ont un rôle fondamental à jouer.

Permettez-moi de citer certaines autres actions de mon Ministère en la matière :

Le projet de loi sur les bibliothèques publiques, que je vais de ce pas partir faire débattre à la tribune de notre Chambre des Députés, vise non seulement à rattraper le retard du Luxembourg sur ce créneau culturel, mais aussi à outiller les bibliothèques communales et associatives de notre pays à embrasser, avec l’aide de la Bibliothèque nationale, le défi numérique.

Les modalités d’application du dépôt légal des publications numériques, afin de garantir la survie et l’accessibilité à long terme de la production intellectuelle en format numérique, viennent récemment d’être précisées par voie règlementaire.

Le programme de gouvernement de juillet 2009, dans sa partie consacrée à la Culture, a retenu la numérisation de masse et l’archivage numérique parmi ses priorités.

Pour donner davantage de poids à cette réalité, j’ai fais inscrire sous la période législative précédente les activités numériques des grands instituts culturels de l’Etat au programme d’action du Luxembourg pour la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne.

Dans la même ligne, j’ai pu collaborer activement aux Conclusions de la Présidence espagnole lors de notre réunion des ministres de la Culture à Barcelone le 31 mars dernier, à savoir qu’aussi bien les industries de la Culture et que le secteur public de la Culture ont un rôle important à jouer pour aider l’Europe et ses Etats membres à réaliser les objectifs de la "Stratégie Union européenne 2020 ", "au travers des initiatives ( .. ) relatives à l’innovation, la compétitivité, l’agenda numérique et l’inclusion sociale".

Ainsi, à côté du e-commerce, et du programme d’action e-Government pour lequel je peux également signer responsable en mes autres qualités ministérielles, y a-t-il à prendre en considération le e-Culture qui deviendra à l’avenir partie intégrante de la création et des contenus culturels.

Bien davantage que par le passé, le secteur public de la Culture, en premier lieu la Bibliothèque nationale et les Archives nationales, ont un rôle très important à jouer dans le domaine du développement de l’information numérique, en matière de modernisation, d’innovation et de promotion des savoirs dans notre pays.

Mesdames et Messieurs,

La crise économique ne doit pas nous empêcher, mais doit bien au contraire nous inciter à nous donner les moyens pour construire aujourd’hui les jalons et piliers de notre avenir.

Ne laissons pas seulement un "carbon footprint" sur terre, veillons à la marquer aussi d’une "empreinte culturelle".

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